Récit d’une résilience lumineuse. Episode 1

Récit d’une résilience lumineuse. Episode 1, Complet

Épisode 1 – Là où tout a commencé…

On ne sait jamais vraiment par où commencer, quand tout commence avant les mots. Avant même que le souvenir puisse mettre des images sur les sensations.

Ce que je sais, c’est qu’il y avait le silence. Celui qui pèse. Celui qui écrase les enfants qu’on ne regarde pas.

Dans ma maison, il n’y avait pas de place pour moi. Pas de regard doux. Pas de bras protecteurs. Mon frère, plus âgé de dix-huit mois, recevait toute l’attention. Moi, j’étais l’ombre. La responsable désignée des bêtises qu’il commettait avec un sourire tranquille. À trois ans à peine, je portais déjà les fautes des autres.

Je n’étais pas jalouse, non. Je ne comprenais juste pas pourquoi ce n’était pas pareil pour moi. Pourquoi l’amour glissait sur moi sans jamais s’arrêter.

Très jeune, on m’a fait comprendre — sans le dire vraiment — que je n’étais pas digne d’amour. Pas parce que j’avais fait quelque chose. Juste parce que j’étais là. Mon existence suffisait à déranger.

Et pourtant, j’avais le sourire. Tout le temps. Il était là, comme une lumière qui me tenait debout. Comme une petite étoile dans la nuit. Aujourd’hui, je sais que c’était ma lumière intérieure. Celle que rien n’a jamais pu éteindre.

Mais cela ne suffisait pas à faire fondre la dureté de ma mère. Elle n’avait pas d’yeux pour moi. Aucune tendresse. Et un jour, elle a insisté pour que je passe du temps avec son frère. J’étais toute petite, à peine deux ans. Je savais déjà que quelque chose n’allait pas. Mon corps savait. Il refusait. Mais on me forçait à m’asseoir sur ses genoux. À lui faire un bisou. À être “sage”.

Un jour, chez lui, pendant qu’en haut, la famille festoyait, il m’a attirée au sous-sol. Il était en slip. Je me souviens de ses pieds, abîmés, ses ongles jaunes. De son odeur. De son regard. De ses gestes. Ce qu’il m’a fait ce jour-là s’est répété. Trop souvent. Trop longtemps.

Ma mère savait. Toute la famille savait. Certains protégeaient leurs enfants de lui, mais moi, on me poussait dans ses bras. Pourquoi ? Je ne l’ai jamais compris. Peut-être parce que j’étais facile à sacrifier. Invisible.

Ce que j’ai vécu là a laissé des traces. Longtemps, j’ai cru que ce n’était “pas si grave”, parce que ma mère me le faisait comprendre ainsi. Mais les cauchemars sont restés. Les réactions physiques incompréhensibles aussi. Ce n’était pas rien. C’était inadmissible.

Des années plus tard, vers quarante ans, ma rhumatologue a découvert dans mes radiographies les marques d’une violence ancienne. Une côte déplacée à l’avant sur le décolté, une excroissance, des cervicales usées comme celles d’un enfant battu. Je souffrais mais je ne sentais pas la douleur. Mon corps parlait pour moi. Moi, je me taisais encore.

Cette médecin m’a tendu la main avec une humanité rare. Elle riait avec moi, me manipulait en douceur, et me disait : « Tu ne sens rien, mais ton corps, lui, il se souvient. »

Elle m’a aidée à mettre des mots sur ce que je ne voulais pas voir. Ce que je n’avais pas le droit de nommer. Ce jour-là, un fil s’est renoué entre la mémoire et la vérité. Un souffle a commencé à revenir.

Ce n’est que le début. Mais je sais que c’est important de le dire. Pas pour s’apitoyer. Mais pour faire la lumière. Parce que tant de vies restent dans l’ombre, à force de silence. Parce que chaque mot posé est une pierre enlevée de ce fardeau invisible. Parce que je ne suis pas la seule. Et que peut-être, en lisant cela, quelqu’un d’autre se sentira un peu moins seule.